Voix du Maghreb

Kamal Benkirane, Partie I : Liberté Ma Douceur

Liberté ma douceur, pour chanter tes refrains
Aux recoins de ton feu, j?ai fait le pied de grue
Dans ma solitude tu m?as tendu les mains
En clamant l?oraison de mon âme éperdue

Je t?offre liberté l?écrin de mon amour
J?ai plaisir a humer ta délicieuse haleine
Nul ne fermera les paupières de ton jour
Tant que l?on bannira la violence et la haine

~ Kamal Benkirane du poème, “Liberté”

Kamal Benkirane a commencé sa carrière littéraire dans sa ville natale, Casablanca, au Maroc, en écrivant pour des journaux, magazines locaux, et tout en enseignant là-bas. Il rejoint des sociétés littéraires et poétiques et gagne des prix littéraires en France. Il s’installe au Québec en 2001 pour étudier en Éducation à l’Université de Montréal. (Les ormes diaphanes), est son premier recueil de poèmes. Il a été publié en 2005 par la maison d?édition ( Fondation Fleur de Lys), au Québec. Il a beaucoup ?uvré pour la promotion littérature francophone du Maghreb en Amérique du Nord. Il publie en 2006, aux éditions L’Harmattan, de France son livre (Culture de la masculinité et décrochage scolaire des garçons au Québec), qui a été suivi en 2010 par un autre recueil de poésie (Dans la chair du cri), publié aux Éditions du Cygne, en France.

Kamal Benkirane a beaucoup oeuvré pour la promotion de la culture marocaine au Canada et pour la création de passerelles d?échanges en ce qui a trait à l?altérité et à l?interculturalité, et à la fusion entre la littérature et les technologies d?information.

Voici son blog :http://landalou.blogspot.ca

Parlez-moi de votre enfance. Où habitiez-vous?

Mon enfance s?est passée dans l?un des quartiers les plus connus de la métropole casablancaise, Derb Soltane, connu pour son histoire riche en termes de militantisme et pour son apport socioculturel aussi, dans tout le pays. Mon enfance était riche, ponctuée par mon cheminement de simple écolier dans l?école publique, entre les matches de football où tout le monde montrait une vocation réelle pour s?exprimer, et ma lecture des bandes dessinées. J?avais perdu mon père à l?âge de 8 ans et cela n?avait fait qu?accentuer le degré d?affection autour de moi. C?était une enfance de découvertes et d?émerveillement continuels. J?ai grandi dans un climat où les amis, les voisins, la famille, les grands-parents, les parrains, les professeurs, etc. étaient une famille collective auprès de laquelle je me sentais proche et qui a marqué mon imaginaire d?enfant mûrissant progressivement dans une diversité de cultures, de couleurs, et de tons.

Y a-t-il quelque chose se particulier dans votre enfance qui vous a orienté vers la poésie?

Je me souviendrai toujours de la première fois où j?ai acheté mon premier livre de poésie, c?était « Les fleurs du mal » de Charles Baudelaire; je l?avais acheté 10 dirhams, soit l?équivalent de presque 2 $, à la librairie qui était en face de l?école primaire où j?avais étudié. La couverture du recueil était expressive et m?avait beaucoup marqué. Ces premières lectures baudelairiennes, accompagnées bien entendu de ma grande passion pour la lecture des bandes dessinées, ont été très déterminantes : je lisais à n?importe quelle heure du jour. « Les fleurs du mal » fait partie de mes premiers livres de poésie, que je garde toujours dans ma bibliothèque malgré tout le temps passé. Je pense que la découverte de ces premières variations de style rythmique, de cette musique, de cette profondeur, la découverte de Victor Hugo ensuite, ont été un premier contact avec la nature, avec le romantisme, avec la poésie classique d?abord, grâce à laquelle je me suis mis à m?exprimer et à exprimer tout ce qui m?entoure, me tracasse mais aussi me rend joyeux.

Quelle a été votre expérience d’apprentissage la plus bénéfique? Qu?est ce qui a eu le plus d?influence sur vous, de par votre formation ou votre vocation?

À part le fait qu?elle résidait dans mes lectures de Baudelaire, Hugo, Lamartine, Aragon, etc, elle résidait dans mon influence par le ton classique et néoclassique de l?époque. Ma première expérience d?apprentissage a résidé aussi dans le contact avec un ami peintre, qui décrivait chacun de ses tableaux de peinture avec un poème classique spécifique. Cet ami, qui était un camarade de classe dans la période du collège, m?avait initié aussi à ses poèmes, me les avait confié, m?avait orienté dans quelques lectures ? et dans la peinture aussi, une voie dans laquelle je n?ai pas continué. Je pense aussi que la première publication de l?un de mes poèmes « Solitude », dans un journal local (L?opinion des jeunes) dédié à la créativité littéraire des jeunes, m?a beaucoup marqué. Cette reconnaissance, ainsi interprétée, m?avait donné beaucoup de confiance en moi, à tel point que je ne pouvais opter plus tard que pour la littérature, et donc la littérature française, pour avoir accès au grand patrimoine universel de cette littérature : le théâtre, le roman, l?essai, la poésie. Je pense que, dès ces moments-là, ma vocation avait grandi et je ne pouvais me voir que dans l?écriture et la créativité littéraire. Je pense que le fait que j?ai développé quelques penchants pour la musique, en tant que musicien aussi, a beaucoup contribué à ce souci constant pour la rythmique et la musicalité, surtout dans un texte poétique.

D?aucuns prétendent que la littérature maghrébine d?expression française est désormais une littérature d?engagement de par les nouvelles données politiques. Que pensez-vous de cela ?

Cet effet générationnel émane de jeunes auteurs qui rejettent les formes adoptées par leurs aînés en écriture, des auteurs qui sont en phase avec une certaine modernité, dont les personnages ne sont plus réductibles à une identité ou à une composante exclusive de leur identité. Je pense que non seulement la façon d?aborder ces questions varie du tout au tout, mais certains jeunes auteurs tels que Salim Bachi, Mohamed Hmoudane, Fatima Ait Bounoua, et d?autres n?entendent pas confiner leurs créations aux modèles de leurs aînés, et semblent prendre un malin plaisir à brouiller les pistes, à s?engager dans des luttes socioculturelles et des critiques de la société. Lorsque l?auteur marocain Mohamed Hmoudane a écrit « French Dream » , les analyses ont été unanimes pour parler d?une révolte d?un tout autre genre, où l?écriture est considérée comme un vecteur réel d?émancipation.

Que vous faut-il faire ou entreprendre afin de continuer à être créatif?

Le contact avec le monde culturel contemporain et la lecture font partie, entre autres, des agréments essentiels, pour continuer d?être à jour et de maintenir une créativité constante. La créativité suppose beaucoup de persévérance, mais aussi une grande solitude pour pouvoir créer et s?inspirer du vécu. Il faut lire les grandes ?uvres et continuer de le faire pour tirer sa propre ligne de pensée et son propre style. J?ai toujours écrit de la poésie à la fois libérée et classique, il n?y a pas de choix catégorique à faire entre les deux. L?ouverture à la culture et à la littérature universelle est une nécessité pour donner à sa créativité une dimension où la diversité est présente et où l?aspiration à la beauté, à l?authenticité, à l?universalité sont des valeurs souvent recherchées.